Gaudin préfère toujours le curé à l’instit – enquête du Ravi et Marsactu – 23 mai 2016

Gaudin préfère toujours le curé à l’instit

A Marseille l’école privée se porte comme un charme…
le 23/05/2016

A Marseille, alors que les écoles publiques manquent de tout, l’enseignement privé se porte comme un charme. Le sénateur-maire LR n’y est pas pour rien…

Mon école va craquer. La formule choisie par France Culture résume bien le ras-le-bol exprimé depuis novembre par une enseignante puis par des parents d’élèves ou des profs remontés contre des écoles publiques marseillaises dégradées. Le fruit d’un sous-investissement chronique dans les écoles municipales par la mairie (voir encadré). En arrière-plan, a prospéré dans la ville dirigée par le très pieux Jean-Claude Gaudin depuis 1995 l’enseignement privé, ultra-dominé par les écoles catholiques. Le maire, il est vrai, n’oublie jamais de saluer le rôle de l’enseignement privé dont lui, l’ancien prof d’histoire-géo de Saint-Joseph-les-Maristes, est issu.

Au Sénat, il ne manque aucune occasion de vanter le libre choix. Localement, il loue le rôle social des écoles privées, notamment dans les quartiers populaires. « Si Lacordaire ou Provence sélectionnent leurs élèves, Saint-Mauront (3e arr.) ou Saint-Joseph Viala (15e arr.) accueillent elles tout le monde et pratiquent la gratuité ou de grosses réductions pour les familles en difficulté », reconnaît André Mourgues, secrétaire général de la CFDT de l’enseignement privé de l’académie Aix-Marseille. « Dans certains quartiers, l’école privée est nécessaire à la scolarisation de tous les élèves. Sans elle, le service public serait loin de pouvoir accueillir tout le monde », abonde le conseiller municipal FDG Jean-Marc Coppola.

Alors que l’enseignement public en élémentaire et maternelle voyait ses effectifs stagner, fluctuant autour de 74 000 élèves depuis 1995, ceux des 58 établissements privés ont bondi de quelques 11 000 élèves à plus de 13 600 élèves. Cela représente une jolie hausse de 23 % pour les établissements confessionnels. Ces chiffres sont rarement exposés : ils viennent d’un document interne du service de l’éducation de la Ville de Marseille dressant l’état des lieux à la rentrée 2013-2014 déjà révélé par le Ravi (1). Mais nous ne pourrons que peu les développer ici. La mairie, qui finance les établissements sous contrats, maintient un silence d’or sur l’évolution des effectifs du privé. Marsactu et le Ravi n’ont obtenu aucune réponse à leurs multiples demandes de données avec la Ville de Marseille pas plus qu’une interview avec l’adjointe à l’Education, Danielle Casanova, celle qui selon Gaudin «  prend des embruns à [sa] place ». C’est donc avec notre document de 2013 complété par des chiffres du rectorat que nous avons pu établir le graphique ci-dessous.

Le privé « boosté » par le public

La bonne santé du privé à Marseille est donc incontestable. Sa comparaison est toutefois peu aisée, faute de données globales facilement accessibles. Pour l’association des parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL), qui tiendra son congrès à Marseille en juin avec une aide de 15 000 euros de la mairie, «  c’est une tendance nationale ». Mais les éléments marseillais contrastent avec les données nationales qui soulignent une stagnation des inscriptions depuis l’an 2000 avec une part de l’enseignement public dans le premier degré autour de 87 %. Au niveau départemental, nous ne disposons de chiffres que sur ces 10 dernières années. Depuis lors, les effectifs du privé ont crû de 7 % sur l’académie d’Aix-Marseille, mais de seulement 0,82 % dans les Bouches-du-Rhône. Moins vite qu’à Marseille qui connaissait sur la même période une croissance de 11 % (sa part passe de 14,4% à 15,3%) contre seulement 3 % dans le public. Dans le même temps, même la catholique Vendée voyait ses effectifs de l’enseignement dit « libre » légèrement baisser… Bref, Marseille accélère vers le privé.

Et encore, le développement de celui-ci semble ralenti par le nombre de places limité. « De nombreux établissements sont sollicités mais ne peuvent pas répondre aux demandes. Il peut y avoir 60 à 70 demandes pour des classes de 30. Les inscriptions sont d’ailleurs déjà terminées dans certains établissements », explique-t-on dans l’entourage de Françoise Gaussen, directrice diocésaine de l’enseignement catholique de Marseille.

Dans cette histoire, Xavier Méry a un poste d’observation privilégié. Il est à la fois adjoint au maire en charge de la lutte contre l’exclusion depuis 2014 et directeur de l’Institut Sainte-Trinité qui propose école, collège et lycée dans le 9e arrondissement. Il estime à « 5000 élèves supplémentaires du premier degré » le potentiel de l’enseignement privé. Il lui arrive même de refuser quelques requêtes haut placées : « C’est la première année que j’ai des demandes du Cabinet du maire et du maire lui-même pour faire entrer des enfants. Mais je n’ai pas pu, faute de nouvelle classe. Ça se fera peut-être par la pression de l’urbanisme, si j’arrive à prouver que j’ai assez de demandes du secteur sur plusieurs années… » Quant à savoir pourquoi le privé connaît un tel succès, il finit par admettre : « A Marseille, c’est sûr que l’état des écoles publiques booste le privé. Les parents disent qu’ils n’en peuvent plus. Ce qui est symptomatique, c’est que les profs du public mettent leurs enfants dans le privé. » Et de sourire : « Comme les élus de Marseille, de droite comme de gauche. »

Un constat largement partagé… hors des cénacles des établissements privés. Chez ses acteurs, les raisons sont en effet tout autres. « Les familles ont le libre choix de l’enseignement. A Marseille, elles optent pour des établissement à taille humaine, dans lesquels les parents ont toute leur place et un rôle d’éducateur », poursuit la voix de Françoise Gaussen. «  Les enfants sont mieux cadrés que dans le public, plus soutenus, il y a moins d’absentéisme des profs, de grèves  », liste moins pompeusement l’association des parents de l’enseignement libre de Marseille. « Pour moi, il y a trois facteurs principaux qui expliquent le choix du privé, avance en échos Mohasen Ngazou, directeur du collège-lycée sous contrat Ibn Khaldoun (15e arr.), également vice-président de la Fédération nationale des écoles musulmanes. Un retour du religieux quelle que soit la confession ; un facteur démographique avec les 2e et 3e générations d’immigrés qui sont désormais bien installées et qui ont un réflexe de classe moyenne en cherchant la meilleure solution pour leur enfant ; des familles horrifiées par la permissivité dans l’école publique et qui cherchent un refuge. »

Le privé au prix du public

Et parfois horrifiés par l’état du public à Marseille tout court, où tout manque, y compris parfois la mixité sociale. « Mon fils était dans le public à l’école des Bergers. Il y avait beaucoup d’étrangers qui ne parlaient pas français. Les enseignants étaient accaparés avec eux, c’était pas évident pour mon fils. Pour changer d’école, on s’est renseigné, il aurait fallu déménager. Alors, on a choisi le privé », témoigne ainsi Cédric qui a inscrit ses deux enfants à l’école Notre-Dame-de-la-Paix (6e). « Dans mon quartier de Malpassé, quand j’étais petit, le privé était réduit à sa portion congrue. Aujourd’hui, il y a l’école juive Yavné, l’école arménienne Hamaskaïne et les catholiques Sévigné et Lacordaire qui ont explosé  : on a l’impression de voir chacun se barricader », estime pour sa part le conseiller municipal socialiste de Marseille Stéphane Mari qui a lui-même choisi le prestigieux collège Lacordaire (13e) pour ses enfants.

Sont également avancés, les «  services » du Privé. La garderie, souvent gratuite, en particulier. «  Si je suis retenue par mon travail, je sais qu’ils peuvent me garder les enfants jusqu’à 18h. C’est une sécurité pour moi qui les élève seule », explique Eve, mère de deux enfants scolarisés à Notre-Dame de la Paix. Viennent ensuite les multiples activités proposées pendant les temps de cantine et périscolaire par l’établissement ou l’association des parents d’élèves  : de la céramique à l’informatique en passant par la natation, le tennis, l’anglais, le club lecture, la prise en charge des devoirs, etc. etc. Loin des temps récréatifs de restauration du public donc.

Le tout à tarifs qui ne sont pas forcément prohibitifs. Raphaëlle, mère d’un petit garçon et d’une petite fille, paie «  300 euros par mois pour les deux, cantine incluse » à Saint-Michel. Géraldine, qui a sa fille en CE1 dans la même école, «  140 euros, tout compris »  : scolarité, garderie, cantine et association des parents d’élèves. Après un rapide calcul, Xavier Méry estime de son côté le panier moyen en premier degré dans son établissement à 150 euros. Finalement un coût assez proche de celui du Public. Si la cantine y est abordable (3,40 euros le repas plein tarif contre 6 euros en moyenne dans le Privé), la garderie vient plomber la facture des parents : 6 euros par jour pour le matin et le soir ! Soit, pour un mois plein, comme en mars, une facture globale de 170 euros ! Conclusion de la maman de Charlotte, également de l’école privée du bd Chave : «  Quand on entend comment ça se passe dans le public, ce qui est sûr, c’est qu’on ne va pas y retourner ! »

 Par la grâce de Gaudin

Ce serait dommage. Si Jean-Claude Gaudin aime rappeler haut et fort que le budget Education est le premier poste de dépenses de la ville et qu’il a investi plus de 500 millions d’euros dans les écoles depuis sa première élection, en 1995, il omet de dire qu’il aime surtout donner au denier du culte de l’enseignement privé. Le forfait élève a ainsi flambé de près de 75 % depuis 2005, comme l’a déjà raconté le Ravi, pour s’établir à 850 euros par an (2).

Mieux, dans le rapport sur la rentrée scolaire 2013-2014, le maire de Marseille se vante d’avoir consenti des «  avantages particuliers ». Il y a notamment la majoration de «  la dotation des élèves de l’école élémentaire de la charge financière des Atsem » et le paiement du forfait pour les maternelles, alors que rien ne l’y oblige. «  Par rapport à la loi, sur la part obligatoire, on fait un peu moins que ce que nous obligerait une juridiction ; sur l’optionnel, on fait un peu plus », minimise pourtant Yves Moraine, maire des très sélects « 6/8 ».

S’il est difficile d’évaluer les obligations de la Ville du fait de la mauvaise volonté de Jean-Claude Gaudin et de son équipe, il est par contre très facile de calculer ses libéralités. Et le total est bien au-dessus du coup de pousse évoqué par le président du groupe LR au conseil municipal. Pour les salaires des Atsem du privé inclus dans le forfait des élèves d’élémentaire, la note s’établit autour 400 000 euros, hors charges sociales. Et la facture est dix fois plus salée pour la prise en charge des maternelles des écoles privées : près de 4 millions d’euros (3) ! Soit plus du tiers de la dotation pour l’année 2015-2016, qui s’élève à un peu moins de 12 millions d’euros. Une paille quand on connaît les finances de la seconde ville de France et l’état de ses écoles…

La générosité de Jean-Claude Gaudin se fait aussi par des chemins détournés. En juin 2014, Mediapart a par exemple révélé que le parquet avait ouvert une enquête préliminaire pour l’attribution par la ville d’une subvention 250 000 euros pour la construction d’un gymnase au sein de l’école juive privée Yavné. En juin 2007, Jean-Claude Gaudin était aussi l’invité vedette de l’inauguration des nouveaux locaux de l’école privée Saint-Louis. Locaux installés dans les anciens abattoirs de Marseille sur un terrain de 2800 m² mis à disposition… par la Ville pour un loyer de 150 euros par an par bail emphytéotique  ! Mieux. Selon le cédétiste André Mourgues, Gaudin serait même à l’initiative de l’ouverture de l’école privée Robert Schumann (3e arr.). « Il voulait une école pour les cadres d’Euromed », assure le cédétiste André Mourgues.

Tant de dévotion interroge. D’autant plus que le maire de Marseille ne met pas beaucoup d’enthousiasme à élargir l’offre du public. Depuis son intronisation en 1995, les nouveaux groupes scolaires sortent au compte-goutte. Au Rouet (8e arr.), à la Capelette (10e arr.) et à Sainte-Marthe (14e arr.), trois quartiers touchés par une forte urbanisation, les écoles promises depuis des années sont toujours dans les cartons. « Quand on accueille mille familles supplémentaires à Sainte-Marthe, soit des centaines de gamins, et que l’école tarde, beaucoup finissent scolarisés dans les établissements privés voisins », dénonce le socialiste Stéphane Mari. Et de conclure : «  On peut considérer ça comme une manière indirecte de favoriser le privé. » Voire de privatiser l’enseignement public ?

Jean-François Poupelin (le Ravi) et Jean-Marie Leforestier (Marsactu)

1. le Ravi n°121.

2. Pour élaborer son forfait versé au privé, la ville s’est appuyée sur un audit réalisé par le cabinet KPMG en 2009. Audit aujourd’hui introuvable selon la mairie…

3. Pour le coût des Atsem en élémentaire, le calcul a été effectué sur la base d’un salaire moyen de 1400 euros net et 270 classes de 33 élèves (8998 à la rentrée 2015). Le coût des maternelles a été calculé sur la base des 4651 élèves à la rentrée 2015. Les effectifs sont ceux du rectorat.

Ces élus si discrets

A Marseille, la rumeur veut que la plupart des élus de la ville mettent leurs chères têtes blondes, ou pas d’ailleurs, dans des établissements publics. Pour en avoir le cœur net, le Ravi et Marsactu ont donc interrogé directement les intéressés par mail. Sur les 101 conseillers municipaux, seuls dix ont répondu (quatre de gauche, deux FN et quatre de la majorité), dont sept pour annoncer – se vanter ? – d’avoir scolarisé leurs enfants dans le public, deux pour dire qu’ils n’avaient pas d’enfants, un pour assumer le choix d’une éducation catholique.

Article paru dans le Ravi n°139, daté avril 2016 et sur Marsactu le même mois.

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La Ville passe aux aveux

Après avoir hurlé au « Marseille bashing » en février, Gaudin va faire voter 4,3 millions d’euros de travaux dans les écoles en avril. La preuve de l’état de l’enseignement public à Marseille.

A entendre les élus de la majorité municipale, il était écrit que c’était encore un coup de Marseille bashing. Les enseignants et les médias fantasmaient l’état de vétusté des écoles marseillaises. En février, Jean-Claude Gaudin a pourtant annoncé un fonds d’urgence de 9 millions d’euros sur trois ans auquel s’ajouteront des subventions du conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Et pourtant, le 1er avril, jour de la parution de ce numéro du Ravi, la Ville de Marseille s’apprêtait à voter 4,3 millions d’euros de travaux dans les écoles.

Cette fois-ci, la Ville s’attaque aux sanitaires « anciens et vétustes », aux « installations dégradées et souvent dysfonctionnelles » ou encore des préfabriqués en dehors de toute norme. Cela implique aussi la réfection de toitures dont l’étanchéité, voire la solidité est sujette à caution, la rénovation des huisseries, de salles de cantine ou même la création de classes supplémentaires.

Un effort en forme d’aveux Cet effort de la Ville concentré en un seul conseil s’apparente à un sérieux coup de collier quand on sait que le budget actuel de rénovation tourne autour d’une vingtaine de millions d’euros par an à Marseille, avec des fluctuations conséquentes d’une année à l’autre. L’impression de coup de collier est renforcée par une autre décision qui devait être entérinée ce 1er avril. Elle prévoit la commande d’études de faisabilité financière et technique pour le remplacement d’une trentaine de groupes scolaires. Ces bâtiments à structure métallique sont qualifiés par le funeste qualificatif de « type Pailleron ». Ce terme fait référence à une rue parisienne où un établissement scolaire de ce type avait été détruit par un incendie dont la propagation rapide était due à ce mode de construction.

Il serait donc temps de les remplacer mais la Ville semble encore manquer de moyens. Il faut dire qu’elle estime « entre 600 et 700 millions d’euros » l’argent à réunir pour remplacer les établissements concernés. Dans un premier temps les « 12 écoles les plus en mauvais état » devraient être remplacées. La mairie de Marseille mise sur deux montages différents : solliciter l’Etat et utiliser des partenariats public-privé, deux méthodes déjà dans les tuyaux. L’Etat a déjà financé plus de la moitié de l’école Busserine (14e arrondissement) dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine lié à la construction de la rocade L2. Il devrait à nouveau intervenir dans les établissements situés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le partenariat public-privé reprendrait le montage désormais connu du Vélodrome. Une entreprise du BTP construit gracieusement l’école avant de la louer pendant un certain nombre d’années à la Ville de Marseille qui en deviendra définitivement propriétaire qu’à la fin du contrat. Un montage qui, s’il soulage les finances municipales à court terme, les plombent sur la longueur.

 Clémentine Vaysse et Benoît gilles (Marsactu)
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